(In)sécurité nucléaire |
L'autorité de sûreté épingle
EDF
(Libé 23/3/2000)
La firme manquerait de «réactivité», notamment pour la protection de son personnel.
Par MATTHIEU ÉCOIFFIER
EDF manque de rigueur dans l'exploitation de ses centrales nucléaires. Surtout lorsqu'il s'agit de protéger ses personnels de la radioactivité, ou d'effectuer rapidement des travaux d'entretien. Tel est le diagnostic de la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) qui rendait public hier son rapport annuel: l'électricien qui exploite 58 réacteurs peut et doit mieux faire. «L'année dernière nous avions employé des mots assez durs : négligence, laisser-faire, endormissement. Un an après, si EDF a engagé des démarches de fond, les résultats ne sont pas tous au rendez-vous, a regretté Jérôme Goellner, adjoint au directeur de la sûreté nucléaire. Ce qui nous irrite c'est qu'EDF rencontre encore un nombre important de problèmes d'exploitation quotidiens.» Certes, ces incidents ne mettent pas les populations en danger, mais ils témoignent du «manque de réactivité» de l'électricien.
Exemple : l'inondation, le 27 décembre à la suite des tempêtes, du local des pompes de refroidissement d'un réacteur de la centrale du Blayais (Gironde). «Le rehaussement d'une digue déclaré nécessaire en 1997 était programmé en 2002!», a dénoncé le gendarme du nucléaire. Pire, selon une autre source au sein de la DSIN, «des incertitudes existent sur la hauteur réelle des digues qui n'était pas partout celle déclarée par EDF». Mais c'est au chapitre de la protection contre les rayonnements qu'EDF doit améliorer ses pratiques. Certes, l'électricien a engagé des réformes importantes début 1999. Mais «le plan propreté radioprotection ne donne pour l'instant que des résultats mitigés, a estimé André-Claude Lacoste, le directeur de la DSIN. Le poids des habitudes ralentit le développement des comportements de prévention comme en témoigne l'irradiation (en mars 1999, ndlr) à la centrale du Tricastin d'un technicien ayant pénétré indûment dans une zone interdite. Il a pris une dose considérable et anormale», a-t-il précisé.
Par ailleurs, dans le nouveau contexte de libéralisation du marché de l'électricité, EDF devra être tenu la bride serrée. «Notre rôle est de veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment de la sûreté», estime la DSIN qui relève que certaines centrales britanniques ont vu leurs effectifs baisser de moitié par souci de rentabilité. A cela s'ajoute le vieillissement du parc des centrales. «EDF annonce une durée de vie de 50, voire 60 ans. Nous, on reste à 30 ans», déclarait hier un dirigeant de la DSIN. Dès le deuxième semestre 2000, l'autorité rendra son avis sur la sûreté du prototype EPR destiné à remplacer les centrales vieillissantes. De quoi animer le débat avec les Verts qui ont fait du gel de ce projet une condition sine qua non de leur participation au gouvernement.
SECURITE NUCLEAIRE
Le Sud-Ouest mauvais élève
JEAN-PIERRE DEROUDILLE
Blayais, Golfech : les centrales de la région sont épinglées par les rapports de l'Autorité de sûreté nucléaire
Selon l'Autorité de sûreté
nucléaire, qui a rendu son rapport annuel public, l'année 1999 a encore été assez
fertile en incidents déclarés, malgré un effort sensible d'EDF, qui exploite les
centrales françaises de production électrique.
Dans ce palmarès négatif, le Sud-Ouest détient la palme, puisque, sur les trois
incidents classés de niveau 2 en France, deux sont survenus dans la région. Le premier
concernait Golfech mais s'est révélé un défaut générique sur plusieurs centrales du
même type. Il s'agissait d'un problème dans les circuits de refroidissement des groupes
électrogènes censés alimenter les installations de sécurité quand les turbines sont
déconnectées du réacteur. On a pu constater l'importance capitale de ces générateurs
diesels à l'occasion de l'inondation de la centrale du Blayais.
Cet événement, intervenu dans la nuit du 26 au 27 décembre dernier, constitue un autre
incident de niveau 2, critiqué vertement par l'Autorité de sûreté, qui a insisté dans
son rapport sur « un certain manque de réactivité d'EDF », à qui des travaux de
rehaussement de la digue de protection avaient été demandés.
LA CULTURE DE LA SURETE
Cet incident, qui reste
considéré comme le plus grave de l'année, n'a toujours pas fini d'être décortiqué.
La division nucléaire de la Direction régionale de l'industrie et de l'environnement
(DRIRE) essaie aujourd'hui d'analyser les processus de décision au sein de la centrale
durant la nuit et de déterminer l'état exact dans lequel se trouvait la digue avant
l'inondation, tandis que l'Autorité de sûreté réserve toujours sa décision sur le
redémarrage des réacteurs 1 et 2. La hauteur de la nouvelle digue aurait encore besoin
d'être validée, estime-t-on à la DRIRE.
D'autres événements, classés au niveau 1, ont été relevés au Blayais (défaut
d'ancrage d'armoires électriques importantes et roulements de pompes sur des circuits de
sécurité) ainsi qu'à Golfech, dont sept pendant l'unique arrêt d'une tranche. Le plus
significatif concernait, selon la DRIRE, le mauvais tarage de soupapes de sécurité, qui
ne se déclenchaient plus à la pression voulue. Cette opération, effectuée par un
sous-traitant, relève d'un contrôle effectué de façon peu satisfaisante, estime-t-on
à la DRIRE.
Il restera à régler les défauts des tuyauteries des circuits de refroidissement à
l'arrêt, qui avaient été à l'origine de l'incident grave intervenu à Civaux dans la
nuit du 12 au 13 mai 1998. A chaque révision d'un réacteur, on en constate, comme cela a
été le cas sur le numéro 3 de la centrale du Blayais en septembre 1999.
Enfin, selon la DRIRE et comme l'a relevé l'Autorité de sûreté nucléaire, le
principal problème reste celui de la culture de sûreté à entretenir et à animer
auprès du personnel et de l'encadrement. Avec parfois vingt ans d'expérience et plus, le
poids des habitudes rendrait moins sensible au risque, même si les retours d'expérience
et les questions incessantes posées par les autorités de tutelle ont contribué à
animer les réflexions.