La désinformation pronucléaire |
Guillaume Grandazzi,
Frédérick Lemarchand
Dabord, nous
nous attachons à mettre en évidence la distinction, fondamentale dans le cadre de notre
travail, qui doit être faite entre risque et vulnérabilité. Que lon puisse parler
dune montée des périls, dune augmentation générale du danger, notamment
dorigine technoscientifique, fait désormais de moins en moins lobjet
dune réfutation de la part des autorités en charge de la production et de la
gestion de risques, publiques ou privées : ainsi entend-on dire ici et là
« le risque zéro nexiste pas », y compris au sein des autorités
nucléaires, ce qui constitue depuis Tchernobyl une rupture radicale dans le discours.
Mais la notion de risque est-elle socialement bien comprise lorsquil sagit,
comme cest de plus en plus souvent le cas, dinformer et de rassurer la
population ? Jusque dans les sciences humaines, la notion de risque, notion
calculatoire issue des disciplines probabilistes, pose problème. En effet, défini comme part calculable de lindéterminé, le
risque, sil est directement opératoire pour lassureur ou le décideur, ne
renvoie quillusoirement à la construction sociale du danger : il participe en
fin de compte de la même fiction, qui a fondé léconomie néoclassique, selon
laquelle lhomme serait avant tout un être
calculant, fondant les principe de son action sur la base dune équation
coût/bénéfice. Or, une approche même sommaire de lanthropologie, de la
sociologie qualitative, de la sémiologie, de la psychanalyse ou encore de la philosophie
permettrait à tout un chacun de constater que les attitudes, croyances et pratiques des
hommes : 1/ procèdent toujours dune rationalité propre, et saisissable
anthropologiquement, 2/ sont à la fois symboliquement et pratiquement inscrites dans le
registre dun imaginaire social
particulier, 3/ cet imaginaire étant lui-même inscrit dans un lieu et dans une époque
donnée. La question du sens est donc indissociable de toute tentative de compréhension
de ces attitudes, croyances et pratiques, y compris en matière de relation au danger,
quil soit réel ou supposé. Le riverain dune installation « à
risque », la mère de famille qui sinterroge sur la qualité sanitaire de la
nourriture quelle donne à ses enfants, comme tous les hommes aujourdhui
confrontés à une incertitude de plus en plus
grande, manifestent donc le signe de leur plus grande vulnérabilité plutôt quils ne se livrent
à de savants calculs afin de quantifier leur relation au danger. Inversement, et comme
nous lavons déjà montré, les campagnes de communication sur le risque
névitent pas ce même écueil en postulant une réception parfaite de
linformation, alors quil nexiste aucune systématique ni aucune
causalité entre :
·
la réalité de la
contamination ou du risque de contamination (que lon ne connaît que partiellement),
la connaissance scientifique qui en est produite (souvent contradictoire),
·
linformation
qui en est rendue (par le prisme des médias et des différents acteurs participant aux
dispositifs dinformation),
·
la perception qui
est faite de cette information (procédant dun tri sélectif),
·
la représentation
sociale construite par la population face au risque
Partant, le sentiment de vulnérabilité éprouvé par les
« populations à risque » que nous serions tentés délargir à
lensemble du corps social, conduit à une pluralité de pratiques et
dattitudes face au « risque », parfois fondées sur lheuristique
de la peur prônée par H. Jonas[1],
parfois manifestées dans des formes de violence[2]
qui ne font que traduire limpuissance et lincompréhension, et sur les
conditions démergence desquelles nous devons nous attarder.
L « echec »
de la mission granite est une source dexperience
La condition des
populations des zones contaminées par laccident de Tchernobyl, que nous avons
étudiée durant trois ans, illustre assez bien les paradoxes de la situation qui tend à
émerger dans un nombre croissant de territoires des pays industrialisés, et en
particulier autour des établissements à risque. Le risque technologique, lié à la
production énergétique et agricole en premier lieu, menace désormais lensemble de
lhumanité, ce quont révélé là encore la catastrophe de Tchernobyl, mais
aussi la crise de la vache folle, et plus généralement lensemble des phénomènes
à caractère épidémique dorigine technoscientifique fort bien analysés par I.
Rieusset-Lemarié[3] :
buf aux hormones, nitrates et atrazine, poulet à la dioxine, etc. Le sentiment de
vulnérabilité éprouvé par une large part de la population est étroitement lié à la
dynamique générale deffondrement des repères, des limites et des frontières, et
nous pourrions le ramener globalement à une peur de la contamination. Atomes,
prions ou pollutions chimiques, invisibles et insipides, ont la particularité de se
propager sur un mode épidémique, via le sol,
leau et lair et lalimentation, qui constituent les éléments
fondamentaux de lenvironnement humain. Dans ce contexte, le projet de
« laboratoire » souterrain ne pouvait que rencontrer la résistance des
acteurs locaux.
Ainsi, une bonne
partie du problème réside dans lappropriation
du risque, cest-à-dire dans le fait de faire sienne et dobjectiver une
question afin dy apporter une réponse acceptable. Les différents types
dattitudes que nous avons pu identifier face au risque synthétisés dans le tableau
1, fruit de nos recherches dans les zones contaminées par laccident de
Tchernobyl[4]
et dans le site de la Hague[5],
peuvent globalement être distribués selon deux axes : le premier indique le degré
dappropriation du risque, allant de la défiance (attitude de déni ou de
banalisation de la situation) comme dune résistance, dune construction sociale (et non comme signe dune
inculture souvent imputée à la population), à lattitude précautionneuse
« rationnelle » (recherchée par les gestionnaires du risque) ; le second
permet de distinguer le degré dactivité et dimplication dune personne,
ou en dautres termes le degré dintentionnalité de ses actions. Plus
précisément nous sommes partis du constat que les habitants des territoires contaminés
adoptaient une attitude dautant plus précautionneuse (appropriation) quil se
situaient à la limite de ces zones, et inversement : ce que nous avons nommé
problématique de la distanciation. Le tableau
2 propose alors une première série de facteurs dappropriation du risque, au
sens où la « distance » en question relève là encore dune
construction symbolique et sociale et ne saurait être réduite à sa forme géographique.
Tableau 1 |
Tableau 2 |
La question de
limage des territoires.
Si des élus et
responsables locaux du développement économique peuvent parler dimage au sens strict du terme au sujet de
leur « pays », il semble évident que le même terme utilisé par un habitant
naura pas nécessairement la même signification. Limage du pays renvoie pour
les premiers, au sens actuel du vocabulaire du marketing territorial, à une
représentation abstraite du pays vu de lextérieur, alors quil procède pour
les seconds de la construction concrète dun espace
vécu. Ainsi, nous pouvons comprendre que certains élus en charge dun
territoire rural ayant déjà connu lexode rural agricole et la déprise économique
qui sensuit puissent entrevoir dans le tourisme un mode de développement plus durable que dans une agriculture productiviste
devenue une menace pour le territoire. En ce sens, le projet GRANITE apparaît
demblée comme incompatible avec cette orientation, devenue générale pour les
zones rurales qui nont pas reçu une affectation purement agricole dans le cadre de
la spécialisation des vocations territoriales. En revanche, lorsquun habitant pense
que le projet GRANITE pourrait entacher limage de son pays, cest au sens où,
comme nous lavons développé plus haut, celui-ci est susceptible de
« contaminer » un espace vécu dont il sagit de préserver, pratiquement
et symboliquement, la pureté, et donc
lhabitabilité. La symbolique du déchet dont est porteur le projet GRANITE a déjà
donné lieu à quelques investigations[6]
dans le champ des sciences humaines et constitue un champ de recherche pertinent, devant
à notre sens faire lobjet dun approfondissement dans le cadre dune
approche socio-anthropologique des sociétés industrielles contemporaines.
Le requalification des
espaces ruraux dans le cadre de la mise en place des récents Contrats de Pays, qui
institue pour une part au moins la réappropriation du territoire par ses habitants, et
notamment un nombre croissant de néoruraux, ne fait que renforcer la contradiction
engendrée par le projet GRANITE. Le mouvement dopposition de la société civile
sapparenterait, du point de vue local, aux réactions de rejets manifestées à
loccasion des projets de constructions de barrages, de lignes de TGV ou
dautoroutes.
Au-delà de cette
distinction sémantique, il semble nécessaire de prendre la mesure de ce que depuis plus
de vingt ans, et suite aux conséquences dune « révolution agricole »
qui a profondément bouleversé les équilibres socio-économiques locaux des campagnes
françaises, de nombreux élus et habitants se sont lancés dans une forme de reconquête
de leur territoire et dexpérimentation sociale qui a pris, dans les années
soixante dix, le nom de développement local.
Il ne doit pas être pensé, du point de vue dune logique sociale, comme une autre
échelle du développement global, mais comme expression dune autre logique du
développement. Pensé comme une alternative aux politiques globales daménagement
rural et de développement économique qui nont eu cesse de privilégier un modèle
urbano-industriel et centralisateur, le sentiment doubli éprouvé par de nombreux
ruraux a conduit ces derniers à prendre en charge leur territoire et à inventer de
nouvelles formes déconomie et de gestion des ressources économiques, naturelles et
culturelles. Le projet GRANITE apparaît dans ce contexte sous un jour doublement
négatif : 1/ en ce quil rappelle lautorité de lEtat qui a
présidé aux schéma daménagement et de développement centralistes dont ont
souffert de nombreuses zones rurales (les espaces dits
« interstitiels ») ; 2/ en ce quil présente de nombreuses
incompatibilités, dont nous avons donné un exemple dans le cadre du développement
touristique, avec le mode de production, déchange et de développement mis en
uvre par ces habitants (et que nous avons longuement étudié, comme
lindiquent les références de léquipe). Ces points dincompatibilité,
ou ces « zones de friction » pourraient faire lobjet dune étude
plus approfondie et spécifique.
Si les travaux
dA. Lalo[7]
ont pu montrer que la gestion des risques industriels « classiques »,
cest-à-dire non-nucléaires, pouvait faire lobjet dune appropriation de
la part des populations riveraines des établissements classés au titre de la directive
Seveso, le discours sur le risque nucléaire est toujours caractérisé en revanche par sa
centralité et échappe pour une bonne part aux citoyens, du point de vue de la production
du discours comme de celui de la pratique institutionnelle. Des institutions censées
ouvrir le débat et faciliter lappropriation locale du risque, le plus souvent par
lintermédiaire de la diffusion dune information apportant un minimum de
garanties dindépendance, telles que les Commissions Locales dInformation
(CLI), nont pas réussi pour linstant à trouver auprès de la population
ladhésion et la confiance recherchées, et ce pour deux raisons au
moins 1/ Le déni du risque (voir
infra., typologie des attitudes face au
risque) dont fait preuve une large part de la population nest généralement pas
estimé à sa juste mesure, et oblitère lefficacité des campagnes
dinformation et de communication qui nont pas, pour linstant, réussi à
résorber les peurs sociales, quelles soient exprimées ou non ; 2/ la gestion
de lindustrie nucléaire est, pour des raisons objectives liées principalement à
la question de la sûreté des installations et au risque potentiel quelles
recèlent, incompatible avec lidée dune gestion localisée et participative
du risque ou dune délégation locale des compétences centralisées, contrairement
à dautres types dindustries.
Mais ceci ne concerne
quun aspect de la question, qui a, seul, fait lobjet dune prise en
compte de la part des autorités en charge de la gestion des risques : le volet
technique. Or, il semble que depuis quelques années, et plus particulièrement ces
derniers mois, les revendications de la société civile, sous forme dorganisation
de manifestations, de dépôt de pétitions, de création dassociations ou de la
volonté exprimée de participer aux assemblées consultatives et/ou délibératives,
déplacent les enjeux dans un champ radicalement nouveau, celui du politique. Les
questions dordre éthique principalement, posées par la population ou ses
représentants, associatifs et/ou élus, tendent à ramener le débat sur un terrain
susceptible de faire lobjet dune appropriation par la société civile, qui
laisse nombre de décideurs et gestionnaires du risque dans lembarras, faute de
culture et dexpérience adéquates. Comment parler à la population ? Comment
répondre aux craintes exprimées ? Sont-elle rationnelles, légitimes ?
constituent autant de questions nouvelles, dont le fondement nest plus réductible
à un « comment » (comment stocker les déchets dorigine
nucléaire ?), mais à un « pourquoi » (pourquoi et au nom de quoi
voulez-vous que nous acceptions une « poubelle nucléaire » chez nous ?).
Ces préoccupations citoyennes sont aussi lexpression dune forme de
résistance à la rationalité technoscientifique qui vise à transformer le
« déchet » en un résidu technique banalisé dont le caractère
potentiellement délétère a été évacué. Dès lors, souvre un champ de
recherche considérable, qui dépasse les approches traditionnelles de la sociologie du
risque dont lobjet sest longtemps borné à létude des perceptions et
représentations du risque par la population, celui dune socio-anthropologie des
espaces politiques de négociation du risque et de la vulnérabilité.
Si le passage de la
société industrielle à la société du risque peut aussi être considéré comme
lentrée dans une ère du soupçon à légard des technosciences, celle-ci
saccompagne par ailleurs dune autre crise de confiance, vis-à-vis des
institutions démocratiques cette-fois. On peut distinguer, ainsi que le fait Pierre
Bitoun[8],
trois types dimaginaire démocratique : la démocratie représentative
classique, la démocratie représentative modernisée et la démocratie participative. La
mise en avant de lintérêt général a longtemps permis aux responsables politiques
de se dispenser de lavis et de limplication des citoyens quant aux grands
projets daménagement du territoire, de développement économique ou
déquipements énergétiques. Le programme nucléaire français constitue sans doute
le meilleur exemple du modèle décisionnel qui a prévalu dans les dernières décennies.
Les procédures denquêtes dutilité publique, mises en place afin de
recueillir les avis des membres de la société civile, ne débouchent que très rarement
sur des avis défavorables et sont perçues et organisées comme une modalité
dexécution des projets plutôt que comme une interrogation sur leurs finalités,
leurs enjeux et leurs alternatives possibles. La multiplication récente de procédures
visant à accroître limplication et la participation citoyennes (conférence de
citoyens, forums hybrides, etc.) témoigne vraisemblablement dune volonté politique
de favoriser lémergence dun modèle de démocratie plus participatif.
Toutefois, on peut aussi analyser cette évolution comme lexpression dune
crise de la démocratie représentative et la nécessité pour les représentants élus
dasseoir la légitimité de leurs décisions sur lavis des profanes, au-delà
du recours aux experts. Certains ont ainsi pu être amenés à se demander si la scène
publique nétait pas devenue « le nouveau passage obligé des
décisions »[9]
Ce nouveau mode de légitimation des décisions, désormais pratiquement incontournable,
donne aussi à la société civile de nouveaux moyens daction, dans la mesure où le
refus de la concertation permet de bloquer la procédure de décision. Cest que
cette fois, ceux qui sollicitent le dialogue ne sont plus les mêmes
Positivement, on peut
voir dans le recours aux procédures de concertation un renouvellement de lidée et
des pratiques démocratiques, pour autant que ces procédures ne procèdent pas simplement
du simulacre et saccompagnent dune modification radicale des mécanismes de
délégation de pouvoir. Le plus souvent cependant, la démocratie participative se
réduit à linformation et à la consultation, les processus décisionnels restant
inchangés. Cest certainement une des raisons pour lesquelles la mission GRANITE a
rencontré de telles difficultés, les opposants ayant vu dans la concertation annoncée,
comme dans le cas des enquêtes publiques, une modalité dexécution du projet et
non la possibilité de sa remise en cause. On saperçoit par ailleurs que dans le
calendrier de la procédure de décision tel que lavait défini le gouvernement,
lhypothèse dun refus de toute implantation dun laboratoire navait
absolument pas été envisagée. Au-delà des modalités de la concertation, il faut donc
sinterroger sur son contenu : quest-ce qui fait lobjet dun
débat, sur quoi porte la discussion et la négociation ? Bon nombre des
revendications exprimées par les collectifs constitués portent précisément sur cette
question et mettent laccent sur la nécessité délargir le débat,
c'est-à-dire délargir la participation à la fois en amont (choix des questions
qui sont débattues) et en aval (implication plus importante dans le processus
décisionnel) du cadre dans lequel était envisagée la concertation. On peut y voir une
première surprise parmi celles que réserve sans doute louverture de la boîte de
Pandore de la participation
Très attentifs aux
risques dinstrumentalisation dont ils peuvent faire lobjet, les citoyens sont
aussi très sceptiques quant à léthique de la discussion, héritée du philosophe
J. Habermas et de laquelle découle la plupart des pratiques de concertation, en ce
quelle tend à éluder les rapports sociaux, les rapports de pouvoir et
dinégalité. Ils savent pour leur part quune discussion nest jamais
exempte de rapports de domination, doù leur propension à inscrire le débat en
dehors des espaces institutionnels et dans une logique de confrontation et de rapports de
force.
Malgré la volonté
affichée dans les principaux appels doffres concernant ces questions (Risques collectifs et situations de crise ;
Evaluation et prise en compte des risques naturels et technologiques ; Concertation,
décision et environnement) de favoriser une transposabilité des résultats dun
champ de recherche à un autre, beaucoup de recherches à visée comparative insistent sur
la spécificité du nucléaire[10].
De nombreuses raisons, à la fois historiques, politiques, techniques,
socio-anthropologiques, sur lesquelles nous travaillons actuellement, permettent
dexpliquer le caractère spécifique de cette industrie. Limplication
importante de lEtat nen constitue pas une des moindres et nest
vraisemblablement pas sans conséquence sur la façon dont se cristallise, sur
lindustrie nucléaire, la double crise de confiance à légard des
technosciences et des institutions démocratiques.
La mission GRANITE a
souffert de ce que la culture scientifique, politique et institutionnelle qui a sous-tendu
la mise en uvre de la démarche de concertation a brutalement rencontré la crise de
confiance qui sest développée rapidement ces dernières années au sein de la
société civile, en particulier à légard des institutions en charge de la gestion
du risque technologique. La très forte signifiance du nucléaire, associée à la peur
généralisée de la contagion, de lépidémie et de la contamination propres à
lépoque, nont fait que renforcer la contradiction. Il semble quun
travail sociologique, en outre des recherches déjà menées sur la construction sociale
du risque, pourrait se situer à deux niveaux au moins :
-
lanalyse
locale, dabord, des conditions spécifiques (sociales et historiques) dans
lesquelles ont été reçus, perçus et construits les représentants de la mission, et le
projet dont ils étaient porteurs. Il apparaît, pour ne prendre que lexemple du
site dAthis de lOrne, quun phénomène daccumulation de problèmes
liés à la pollution (agricole) et à la contamination (amiante) na pas été sans
jouer un rôle dans la mobilisation qui sy est opérée. Laccumulation des
manifestations de réversibilité négative du « développement », associée
à la perte des garanties qui devaient accompagner ce vaste mouvement de transformation de
la société, et en particulier dans le monde rural, entraîne une non acceptabilité
croissante des nouveaux projets dont lEtat pourrait aujourdhui se faire le
porteur. La question de lappropriation locale des projets de développement et
daménagement, cest-à-dire la prise en compte des aspirations locales
réelles (et non supposées) qui doivent être appréhendées sociologiquement,
constituera à coup sûr la pierre dachoppement du développement technologique,
comme le montre très clairement la remise en question des OGM.
-
Une analyse plus
globale ensuite, déjà engagée par les chercheurs du LASAR dans le cadre de deux
recherches financées par le Ministère de lEnvironnement, de la construction
sociale du risque nucléaire en général, et plus particulièrement lorsquil est
associé à la problématique du déchet. De la perception à lappropriation du
risque, jusquà la mobilisation de la société civile, chaque étape du processus
doit faire lobjet dune analyse approfondie sur un double plan : celui,
anthropologique, des représentations et de la symbolisation du danger dans la diversité
des formes produites ; celui, sociologique, des logiques dacteurs sur la scène
locale du risque qui contribuent à produire telle ou telle situation (crise, blocage,
consensus,...). Lanalyse des discours produits par chacun des acteurs ne doit pas
être évacuée dans la mesure où elle constitue un bon analyseur de lévolution de
la situation : ainsi, lon pourrait interpréter les mouvements locaux de rejet
des propositions de la mission GRANITE comme un déplacement du discours sur le risque, du
niveau global et centralisé vers la scène politique locale, ou en dautres termes
comme une forme de ré-appropriation par la société civile du discours sur le risque
nucléaire dont elle avait été jusquà présent dépossédée.
Il apparaît enfin
quune réflexion sur ces questions dans le cadre hexagonal ne peut faire
léconomie dune approche comparative avec les autres pays européens, dans la
mesure où une approche communautaire de ces problèmes semble constituer un horizon
indépassable. Dans cette perspective, nous avons engagé des liens de collaboration avec
des chercheurs belges (M. Mormont, SEED, Fondation Universitaire Luxembourgeoise) qui
participent précisément à une recherche-action en Belgique visant à accompagner un
processus de concertation à propos dun site de stockage de déchets radioactifs.
Les choix et les expériences dautres pays européens doivent également être
interrogés.
[1]
Jonas H., Le
Principe responsabilité, Paris, Cerf, 1990.
[2]
On se souviendra de laccueil réservé par les ouvriers de lusine de
retraitement des déchets nucléaires de La Hague à la délégation des Verts visitant le
site et menée par D. Cohn-Bendit. (journal Le Monde,
13/03/99).
[3]
Rieusset-Lemarié I., Une fin de siècle épidémique, Paris, Acte
Sud, 1992.
[4]
Rapport GERIRAD, voir infra.
[5]
Travaux du LASAR (en cours) dans le cadre du programme « Evaluation et Prise en
compte du Risque technologique » (EPR) et dans celui du programme
« Environnement et santé », Ministère de lAménagement du Territoire
et de lEnvironnement.
[6] Par exemple : F. Zonabend, M. Douglas, D.
Lhuilier et Y. Cochin.
[7] Lalo A.,
La prise en compte des populations, leur information sur les risques technologiques,
industriels et nucléaires, Séminaire organisé par lInstitut des Hautes
Etudes de la Sécurité Intérieure, 17-19 décembre 1996, Lyon
[8]
BITOUN P., Un contrôle démocratique de la science est-il possible ?,
communication au colloque franco-allemand Science
et technique : chance ou menace pour notre avenir ? Approches françaises et
allemandes, Frankreichzentrum der Universität des Saarlandes, Sarrebruck, 27-29
janvier 2000.
[9]
Lascoumes P., La scène publique, nouveau passage
obligé des décisions ? Devoirs et pouvoirs dinformation dans les procédures
de consultation, Annales des Mines, Responsabilité et Environnement, n°10, avril
1998, pp. 51-62
[10]
Par exemple : Blanchet P., Vallet B., Gestion concertée du risque : une
impossible institutionnalisation ?, Actes du séminaire du Programme risques
collectifs et situations de crise, dixième séance, 19 mars 1998, Paris, CNRS, pp.
87-200.